Les questions frontalières et le Brexit dominent les élections en Irlande du Nord

Les élections du 2 mars pour les 90 sièges de l’Assemblée de l’Irlande du Nord auront lieu dans des conditions de turbulences politiques croissantes.

La crise du Brexit (sortie britannique de l’UE), suivie de l’élection de Donald Trump à la présidence américaine, a grandement exacerbé les divisions entre l’Europe et l’Amérique et provoque un conflit ouvert entre le gouvernement britannique et l’Union européenne. De plus, la classe dirigeante britannique et tous ses partis politiques sont partagés entre les partisans du Brexit et ceux dont les intérêts dépendent de l’adhésion britannique à l’UE.

Quelle que soit l’issue de l’élection, les accords de partage du pouvoir entre les partis unionistes pro-britanniques et les partis nationalistes irlandais se détricotent.

L’élection a été déclenchée par la démission du Premier ministre adjoint de l’Irlande du Nord Martin McGuinness et le refus du Sinn Fein de nommer immédiatement un remplaçant. Le Sinn Fein a exploité le scandale sur l’Initiative de chauffage renouvelable (RHI) qui dure toujours comme une occasion d’attaquer ses rivaux unionistes et partenaires au pouvoir, le Parti unioniste démocratique (DUP).

Le Sinn Fein a déclaré qu’il ne rentrera pas au gouvernement avec le DUP sous la direction d’Arlene Foster avant la conclusion d’une enquête publique sur le RHI. Le porte-parole du parti, le député de la circonscription de Belfast Ouest, a insisté sur le fait qu’il n’y aurait pas de renouveau de l’Assemblée au palais Stormont de Belfast, sans une loi défendant la langue irlandaise, une déclaration de droits et un accord sur la façon de traiter les « questions héritées » des « Troubles » (la lutte nationaliste pour l’indépendance).

Entre 1969 et 1998, l’Irlande du Nord a été déchirée par une longue guerre larvée entre d’un côté l’armée britannique et les forces loyales au gouvernement d’Ulster (Irlande du Nord), dominé par les protestants, et de l’autre, les forces républicaines irlandaises dominées par l’Armée républicaine irlandaise provisoire (PIRA).

Le conflit a entraîné des milliers de morts et a pris fin sous les auspices du gouvernement travailliste de Tony Blair, quand, avec l’appui de l’UE et des États-Unis, un accord a été mis en place qui a ouvert la porte à l’aile politique du PIRA, le Sinn Fein, à partager le pouvoir en Irlande du Nord avec les unionistes pro-britanniques. L’accord du Good Friday (du vendredi saint) de 1998 et les accords ultérieurs ont permis de réduire énormément la présence militaire britannique, de démilitariser la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande et de faciliter un flux considérable de fonds de l’UE et des investissements mondiaux dans une Irlande du Nord en manque d’investissements.

La vie politique, telle qu’elle a été codifiée dans l’accord, est restée divisée sur les lignes sectaires et « communautaires », les partis étant obligés de s’identifier soit comme unionistes soit comme nationalistes. La discrimination anticatholique féroce qui a caractérisé l’Irlande du Nord depuis sa fondation en 1921 à la fin de la guerre d’Indépendance irlandaise s’est transformée en une nouvelle forme de sectarisme institutionnalisé qui a servi et sert à diviser la classe ouvrière.

Depuis 2007, le Sinn Fein et ses anciens ennemis jurés, le Ulster Unionist Party (UUP) et ensuite le DUP ont dirigé l’Irlande du Nord dans l’intérêt mutuel de cliques rivales de la classe moyenne supérieure cherchant à se remplir les poches tout en imposant conjointement des mesures d’austérité.

L’aggravation des inégalités sociales et de nombreux scandales de corruption toujours plus flagrants ont démasqué les deux partis au pouvoir et les institutions qu’ils défendent comme hostiles aux intérêts de la classe ouvrière.

En outre, la décision britannique de quitter l’UE génère une énorme inquiétude dans les deux parties de l’île. Alors que des factions de l’élite dirigeante dans le nord voient le départ de l’UE comme offrant de nouvelles occasions pour réduire les impôts et attaquer les niveaux de vie, la faction dominante dans la République et une partie importante de la bourgeoisie nordique comprenant bien plus que l’électorat habituel du Sinn Fein voient en le Brexit une atteinte à la fois au commerce avec la Grande-Bretagne et à la position de l’Irlande dans les transactions transatlantiques entre les États-Unis et l’UE.

Les préoccupations ont trait à la frontière qui, il y a 20 ans, était marquée par des postes de contrôle militaires et des policiers, fortement fortifiée et patrouillée par des hélicoptères de l’armée britannique, mais qui est maintenant presque invisible. Aujourd’hui, environ 177 000 camions, 208 000 camionnettes et 1,85 million de voitures transitent par les 200 point de passage chaque mois. Toute perturbation de ce flux de marchandises, de travailleurs et voyageurs menace les deux côtés d’un effondrement économique. Le gouvernement conservateur britannique de Theresa May a cependant clairement indiqué qu’il a l’intention de quitter l’union douanière de l’UE, faisant ainsi de la ligne de séparation de 1921 une frontière extérieure de l’UE.

Les gouvernements britannique et irlandais ont insisté à plusieurs reprises sur le fait qu’aucun contrôle aux frontières ne sera imposé, mais personne n’a encore donné une explication de la manière que cela peut être réalisé. Au lieu de cela, la frontière et même le statut de l’Irlande du Nord deviennent une monnaie d’échange dans les négociations de gros enjeux entre la Grande-Bretagne et l’UE sur les conditions de la sortie de l’UE du pays.

À la suite des récents entretiens entre le Premier ministre irlandais (Taoiseach) Enda Kenny et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, Kenny et Juncker ont annoncé leur objectif commun selon Kenny que « les termes de l’accord du Good Friday figureront également dans les termes issus des négociations », une référence à l’accord final entre l’UE et la Grande-Bretagne. « En d’autres termes, si à un moment donné futur, si jamais cela devait arriver, l’Irlande du Nord aurait des facilités d’accès pour redevenir membre de l’UE. »

L’Irlande du Nord a voté par 56 contre 44 pour cent pour rester dans l’UE, mais la DUP a fait campagne pour un vote de sortie (Brexit) et a même servi de conduit pour les fonds pro-Brexit à être canalisés dans des publicités pro-Brexit affichées à Londres, contournant ainsi les limites imposées sur dépenses du référendum.

Les divisions profondes entre l’UE et les États-Unis qui ont émergé ces dernières années sur le statut de l’Irlande comme un paradis fiscal pour les entreprises américaines de technologie et de chimie sont davantage compliquées par l’élection de Trump.

L’UE a exigé que le gouvernement irlandais perçoive 13 milliards d’euros d’impôts auprès, entre autres, de la société américaine Apple Corporation. Il y a des spéculations répandues quant à l’impact de la politique de « l’Amérique d’abord » de Trump à exacerber ces tensions et l’effet que cela aura sur l’Irlande.

Le journaliste irlandais Fintan O’Toole s’est interrogé sur la question de savoir si la Grande-Bretagne post-Brexit avec un accord commercial avec les États-Unis rapidement conclu et défavorable en poche se présenterait comme une ligne de fracture non seulement entre la Grande-Bretagne et l’UE mais aussi entre deux blocs de puissances, l’un dominé par les États-Unis et l’autre par l’Europe.

Voilà le contexte de la décision du Sinn Fein de baisser le rideau sur le gouvernement d’Irlande du Nord, du moins pendant la durée de l’enquête sur le RHI et en attendant la pleine mise en œuvre des questions en suspens de l’accord du Good Friday. Une reprise directe du pouvoir à Londres sur l’Irlande du Nord, ce que le gouvernement britannique voudrait éviter, sera nécessairement imposée à sa place. L’objectif de Sinn Fein semble être de marginaliser l’Assemblée de Stormont pendant les négociations sur le Brexit, tout en plaidant pour un nouveau « vote frontalier » sur le statut constitutionnel de l’Irlande du Nord. Le Sinn Fein est le seul parti unifié représenté dans de toute l’Irlande et a été mis en avant en tant que partenaire de coalition pour les deux principaux partis bourgeois dans la République, Fine Gael et Fianna Fail.

Le parti DUP de Foster a prévenu d’une élection « brutale », ce qui ne peut signifier qu’une campagne violemment sectaire qui rappelle les jours de l’hégémonie protestante. Ce mois-ci, le DUP a voté, comme la grande majorité des députés, pour déclencher l’article 50 au parlement de Londres, lançant la sortie de l’UE. Il a également voté contre un amendement proposé par le parti nationaliste Social Democratic and Labour Party (SDLP) de l’Irlande du Nord pour préserver les droits pour le « peuple d’Irlande du Nord » contenus dans l’accord de Good Friday et défendus par l’UE. Foster a réitéré son intention de réduire le taux d’imposition des sociétés à 12,5 pour cent, s’alignant sur la République d’Irlande, ou même à 10 pour cent.

Steve James

Article paru en anglais, WSWS, le 27 février 2017


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