Trump, Syriza et le Brexit prouvent que voter n’est qu’une minuscule partie de la bataille

En 2014, une étude de Princeton avait conclu que les USA n’étaient plus une démocratie, mais une oligarchie : les choix des électeurs n’y influencent que marginalement, voire pas du tout les orientations politiques et sociales, qui sont entre les mains d’une micro-élite économique. Et, comme en avait déjà pris acte Danielle Mitterrand en 2005, toute la zone économique atlantique, et les autres alliés des USA, sont dans le même cas.


i voter changeait quelque chose, ils l’interdiraient. Dire cela peut sembler un peu désinvolte, mais penchons-nous sur les événements récents.

En janvier 2015, le peuple grec, fatigué et écoeuré de l’austérité et de la chute du niveau de vie, a voté pour Syriza, un parti radical anti-austérité. La coalition de la gauche, qui avait seulement été formée onze ans auparavant, a gagné 36,3% des votes et 149 des 300 sièges du Parlement hellénique. Le peuple grec entretenait des espoirs raisonnables de voir la fin de leur cauchemar austéritaire. La victoire de Syriza a été saluée par toute la gauche progressiste d’Europe.

Mais que s’est-il ensuite passé ?

Des pressions ont été appliquées sur la Grèce par « la Troïka » pour qu’elle accepte des termes exigeants en échange d’un nouveau repêchage. Syriza a consulté le peuple en juin 2015 par référendum avant d’accepter les termes.

« Dimanche, nous ne décidons pas simplement de rester dans l’UE, nous décidons de vivre dignement en Europe, » a déclaré Alexis Tsipras, le leader de Syriza. Le peuple grec a dûment donné à Tsipras le mandat qu’il demandait, en rejetant les termes du renflouement par 62,3% de ‘non’.

Et pourtant, tout juste deux semaines après le référendum, Syriza a accepté un package de mesures qui comprenait encore plus de coupes sombres dans les pensions et des augmentations de taxes encore plus fortes que celles de l’offre précédente.
Pour la différence que leur vote a fait, la population grecque aurait tout aussi bien pu rester à la maison le 27 juin.

De nombreux partisans de Donald Trump pensent sûrement la même chose.

Trump a gagné les élections en attirant les électeurs de la classe ouvrière et en offrant la perspective de la fin de la politique étrangère fondée sur « l’interventionnisme libéral » militaire. Et pourtant, au bout de neuf mois de présidence, la croyance selon laquelle Trump allait rompre avec ce qui l’avait précédé est en lambeaux. Les membres conservateurs nationalistes de son équipe ont été purgés, et Trump s’est révélé aussi belliqueux que ses prédécesseurs. Plutôt que de drainer le marécage de la politique washingtonienne comme il l’avait promis, Trump s’est mis à y patauger.

Les événements de 2017 prouvent sans l’ombre d’un doute, comme je l’ai déjà écrit ici, que les USA sont un régime et non une démocratie authentique, et que, quoi qu’ils aient promis lors de leur campagne électorale, tous ceux qui arrivent à la Maison-Blanche – un jour ou l’autre – sont forcés de s’aligner sur le Parti de la guerre/Wall Street/l’Etat profond.

Les Britanniques aussi ont eu leur leçon sur la façon dont la « démocratie » fonctionne quand les gens ne votent pas comme les puissants le leur demandent. Le 23 juin 2016, de façon justifiée ou non, 52% des votants ont décidé de quitter l’UE. Mais 15 mois plus tard, de plus en plus de gens pensent que la Grande-Bretagne, soit ne quittera jamais l’UE, soit restera dedans sauf nominalement. Le gouvernement n’a activé l’article 50 qu’en mars, après que les cours de justice aient décidé que le Brexit devait être déclenché par un vote du Parlement.

La semaine dernière, le Premier ministre Theresa May a demandé à l’UE une période de transition de deux ans, après le départ de la Grande-Bretagne en 2019. Il n’est pas difficile d’imaginer que la période de transition s’étendra indéfiniment. « J’ai exprimé cette crainte longtemps avant le discours affligeant de Theresa May à Florence, et je ne vois rien qui me rassure quant aux possibilités de respect des résultats du référendum, »écrit Peter Hill, ancien rédacteur en chef du Daily Express.

Les chances du maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE au moins jusqu’en 2022 sont aujourd’hui de 3 contre 1. Et elles s’amenuisent tous les jours.

Ici encore, est-ce que les gens qui ont voté pour le Brexit en 2016 voulaient cela ? La question ici n’est pas que nous pensions, ou non, que quitter l’UE soit une bonne idée, mais la façon dont le référendum n’a pas débouché sur le résultat escompté.

Ce ne sont pas les seuls exemples de gens qui n’obtiennent pas ce pourquoi ils sont voté. En 2008, les Irlandais ont voté pour rejeter le Traité de Lisbonne de l’UE. Cela a-t-il clôt l’affaire ? Pas du tout. On les a fait re-voter – un an plus tard – et cette fois, l’UE a obtenu le résultat qu’elle voulait. [NdT : En France, en 2005, les électeurs avaient rejeté le projet de Constitution européenne à 55%. Dont les termes, repris par le Traité de Lisbonne, ont été imposés, nolens volens, peu de temps après par Nicolas Sarkozy et le Parlement.]

En mai 2012, le candidat du Parti « socialiste » François Hollande remportait une victoire décisive aux élections présidentielles. Comme Syriza, il avait promis d’en finir avec l’austérité.

« Je suis sûr que dans de nombreux pays, il y a un soulagement, un espoir pour qu’enfin, l’austérité ne soit plus inévitable », avait-il déclaré. Mais devinez quoi. Hollande n’a pas tué l’austérité. Un an après, il soutenait une nouvelle salve de coupes sombres, remettant au goût du jour le vieil adage, « plus ça change, plus c’est la même chose ».

Cela n’aurait pas surpris les étudiants français de politiques hongroises, étant donné que la même chose s’était produite en Hongrie dans les années 1990. Avec les élections de 1994, le Parti socialiste de Gyula Horn avait balayé le Forum démocrate hongrois, parti de centre-droite, en promettant de préserver les meilleurs aspects du système « communiste goulash » hongrois. Horn a attaqué les privatisations énergétiques, et promis de privilégier les intérêts des travailleurs hongrois. Mais les forces du capital occidental n’avaient pas l’intention d’autoriser la survie du moindre vestige de socialisme dans les anciens pays du bloc de l’Est.

Sous la pression des institutions financières occidentales, Horn a spectaculairement retourné sa veste, mettant à la porte ses ministres authentiquement de gauche, et appointant un professeur d’économie néolibéral appelé Lajos Bokros pour imposer un programme d’austérité brutal, qui était bien pire que tout ce que le gouvernement précédent avait proposé. Il a aussi accéléré les privatisations.

Vous voyez le schéma ?

Ce que les exemples cités illustrent est que, quels que soient nos votes, les individus des coulisses – les hommes d’argent, les bureaucrates, ceux qui ne veulent pas voir la fin du mondialisme néolibéral parce qu’ils en profitent – n’accepteront pas passivement le verdict du peuple. Si les « masses » votent « mal », par exemple pour Trump, pour Syriza, pour le Brexit ou pour Hollande ou Horn, ils trouvent des moyens de rapidement ramener les choses à leur condition habituelle.

Je pense qu’il y a là des leçons importantes pour le Parti travailliste britannique, qui pourrait être à la veille de prendre le pouvoir. Comme beaucoup de gens cette semaine, j’ai été très impressionné par le discours délivré par le leader des Travaillistes, Jeremy Corbyn.

Corbyn s’est engagé à développer « un nouveau modèle de gestion économique pour remplacer les dogmes ratés du néolibéralisme ».

Ce qui est une hérésie pour les élites néolibérales pro-guerre.

Les sondages d’opinion démontrent que le Parti travailliste, qui a enregistré sa plus grande augmentation de parts des votes depuis 1945, a une confortable avance. Les chiens d’attaque des élites économiques ont aboyé contre Corbyn depuis le premier jour, et il serait totalement naïf de penser que cela s’arrêterait s’il obtenait les clés du 10, Downing Street. [NdT : Résidence du Premier ministre britannique.] En fait, la guerre contre Jeremy et ses proches collaborateurs ne fera que s’intensifier. La bonne nouvelle est que le Parti travailliste se prépare déjà à une fuite des capitaux et à une guerre contre la livre sterling s’il est élu. Paul Mason, un observateur pro-travailliste, a dit que les premiers six mois d’un gouvernement Corbyn seraient comme ‘Stalingrad’.

Bien sûr, vous pourriez dire que des personnages comme Trump, Hollande et Tsipras n’avaient jamais été totalement sincères quant à leur programme, et qu’ils avaient dit ‘ce qu’il fallait dire’ pour être élus. Mais même quand les politicien sont à 100% authentiques, comme semble l’être le vétéran de l’activisme anti-guerre Jeremy Corbyn, les pressions qu’ils subissent pour céder aux puissances des coulisses sont immenses, tout particulièrement s’ils s’obstinent à proposer des politiques dont les élites économiques néolibérales ne veulent pas.

L’histoire récente nous révèle que dans les « démocraties » occidentales modernes, les votes en eux-mêmes ne déterminent pas les résultats. Ce qui compte est ce qui vient après.

Neil Clark 
Paru sur RT sous le titre Trump, Syriza & Brexit prove voting is only small part of the battle

Traduction et note d’introduction Entelekheia


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